6
La fourche

Amos marchait en compagnie de Mékus Grumson qui portait une lourde bure de moire brune et qui s’appuyait sur un long bâton de marche. Autour d’eux s’étendait une grande forêt de pins gigantesques où régnait un silence absolu. Pas un seul oiseau dans les arbres, pas de vent dans les branchages, pas même une seule brindille, au sol, à faire craquer d’un coup de talon. Un large sentier s’ouvrait devant eux, d’où il était possible de voir, sur la gauche, un immense lac.

Le jeune porteur de masques se demanda soudainement depuis combien de temps il pouvait bien marcher ainsi. Il n’avait pas souvenir d’avoir entamé une promenade avec Mékus ni même de l’endroit où ils se rendaient ainsi. Toutefois, il se rappela vaguement avoir été transformé en pierre, puis avoir ressenti une terreur hors du commun à l’idée de ne plus jamais être capable de bouger.

— Mais où sommes-nous ? demanda enfin Amos.

— Je ne sais pas, Amos, lui répondit Mékus avec un large sourire. C’est toi qui as créé ceci, pas moi ! Tu devrais connaître la réponse…

— Ah oui ! s’exclama le garçon. J’ai beaucoup de goût alors…

— Je te retourne la question : où sommes-nous, Amos ?

— Je crois que nous sommes sur le chemin de ma vie, finit par répondre le porteur de masques après réflexion. Comme cette route, ma voie est toute tracée devant moi et j’avance, confiant, vers l’avenir.

— C’est une bonne analyse, le complimenta Mékus, toujours souriant. Écoute, Amos, le masque de l’éther n’est pas un objet matériel comme l’étaient tes autres masques. Sache qu’il est d’ordre spirituel et ne se trouve qu’à l’intérieur d’un porteur de masques. Sur notre route, tu devras prendre les bonnes décisions et faire les bons choix pour réussir à l’atteindre…

— Seras-tu mon guide, Mékus ?

— Attention, je serai bien plus que cela, Amos ! Je serai ton guide, ton juge, mais aussi ton bourreau si tu prends les mauvaises décisions. C’est moi qui détiens les clés des puissances de l’éther et, malgré notre amitié, je ne te ferai pas de cadeau. Rappelle-toi ceci, Amos : c’est ce que nous vivrons ensemble, au cours de ce voyage, qui déterminera ton avenir…

Tout en avançant dans la forêt, Mékus Grumson expliqua que la force qui anime les humains est un mélange de trois niveaux d’énergie ayant chacun sa densité propre. Amos avait atteint aujourd’hui le degré le plus avancé des trois types d’énergie. Il marchait dans l’univers de son corps spirituel.

— Il s’agit d’un lieu en dehors du temps et de l’espace, précisa Mékus. Il s’agit d’un monde qui existe à l’intérieur de toi et où tu ne peux pas mourir. Même si ton corps physique est prisonnier de la pierre et que tes énergies mentales se trouvent, de ce fait, elles aussi paralysées, tu es toujours vivant, ici, dans ton corps spirituel. Et c’est dans ce monde, cet univers intérieur, que je te soumettrai des épreuves qui détermineront si tu mérites d’acquérir le masque de l’éther.

— Je vois, dit Amos en réfléchissant. En somme, je dois réussir toutes les épreuves pour avoir droit aux forces de l’éther… mais si j’échoue ?

— Ta situation est périlleuse, car il n’y a que par l’éther que tu peux retrouver ton corps physique.

— Alors, si j’échoue, je demeurerai à jamais prisonnier de la pierre ?

— J’ai bien peur que oui…, lui confirma Mékus. Ton avenir t’appartient, mon garçon…

— Je comprends. Mais, dis-moi, qu’est-ce que l’éther au juste ? demanda Amos.

Mékus lui expliqua encore que dans chaque être coule une énergie silencieuse et pure, comparable à un cours d’eau. Tout ce qui vit, les plantes aussi bien que les animaux et toutes les créatures du monde est relié à cette source qui coule également dans les veines de la Dame blanche. L’éther est cette énergie inépuisable qui lie le monde physique des vivants.

— Rares sont ceux qui y ont accès, continua Mékus. L’élément qui maintient l’organisation du monde ne doit jamais être utilisé de mauvaise façon. Il doit servir à l’équilibre de la vie et être manié avec une infinie délicatesse. C’est pourquoi je dois te soumettre à des épreuves afin de m’assurer de tes qualités de cœur et d’esprit… La cohésion du monde est en jeu !

— Je comprends mieux, fit le garçon. Et je me sens confiant, car je sais que Sartigan m’a bien formé… Je me sens prêt à tout.

— Alors, commençons tout de suite si tu veux bien, dit Mékus en désignant à Amos une fourche du sentier. Ton chemin de vie se divise ici. De quel côté allons-nous ?

Amos constata que son chemin se divisait effectivement en deux branches. Du côté droit, la voie était encore large et bien découpée dans le paysage, alors que celle de gauche, plus étroite et rocailleuse, semblait se perdre dans la forêt.

Le garçon se gratta la tête.

— Je crois que… que…, hésita-t-il avant de répondre, je crois que je vais prendre à gauche !

— Mais pourquoi donc ? Ne vois-tu pas que la voie est plus facile à droite et beaucoup moins accidentée ? Dans la voie de gauche, tu risques de tomber et peut-être même de t’égarer !

— Sartigan m’a enseigné à me méfier des apparences et à choisir autant que possible les chemins les moins fréquentés. Au fil du temps, ces histoires m’ont fait comprendre qu’il faut bien calculer les risques qu’on prend dans la vie et qu’il ne faut pas craindre les difficultés. Si je tombe dans le chemin de gauche, eh bien, je me relèverai, et si je me perds, je reviendrai sur mes pas, c’est tout ! Les épreuves me rendront plus fort et plus adroit ! Mais il se peut aussi que je ne tombe pas et que je ne me perde pas sur cette route. Si c’est le cas, je découvrirai des lieux que personne n’a jamais vus et des paysages que moi seul connaîtrai. Le jeu n’en vaut-il pas la chandelle ?

— Bien. Très bien, jeune homme. Tu as appris à voir plus loin que les apparences, déclara Mékus, et c’est précisément pour cette raison que tu viens de réussir ta première épreuve. Les chemins faciles ne sont pas toujours ceux qui mènent au succès…

— Dans ce cas, s’amusa Amos, dépêchons-nous de le prendre ! J’ai hâte d’affronter ma deuxième épreuve !

— Tu es enthousiaste à l’idée d’affronter des épreuves ? demanda Mékus.

— Non, rectifia le garçon, je suis enthousiaste à l’idée de vivre une excitante aventure !

— Eh bien, passe devant ! fit l’élémental, tout souriant, en lui cédant le passage. Ce sera une belle aventure !

 

* * *

 

— Nous y voilà ! lança Béorf en débarquant de la flagolfière. Les montagnes de l’Hyperborée sont droit devant !

Après la singulière résurrection de Lolya, les chevaliers avaient soigneusement installé la statue d’Amos dans l’engin volant de Flag afin de le conduire avec toute l’équipe vers les hautes terres de l’Est. Comme la jeune nécromancienne avait déclaré à Médousa, au cours de son interrogatoire, que la solution, pour sauver Amos, se trouvait au-delà des dangereuses contrées de l’Hyperborée, Béorf avait insisté pour suivre ses deux amies afin de les assister.

C’est ainsi que l’hommanimal, la gorgone et la nécromancienne descendirent de la nacelle avec tout le matériel nécessaire pour entreprendre une longue expédition. Tentes, nourriture, armes et armures, matériel de premiers soins, lanternes et chandelles furent rangés dans une charrette à l’intérieur de laquelle on attacha aussi solidement la statue d’Amos.

— Je suis inquiet de vous laisser ainsi ! dit Flag en déchargeant les dernières provisions.

— Ne crains rien ! le rassura Béorf. Nous en avons vu d’autres depuis que nous connaissons Amos…

— Mais nous pourrrrions surrrvoler les montagnes, insista le lurican. Ce serrrait beaucoup moins dangerrreux pourrr vous !

— Nous en avons déjà parlé, mon ami, trancha le gros garçon. Nous devons faire ce voyage à pied afin d’être en contact direct avec les gens ou les indices qui pourraient nous permettre de trouver le moyen de ramener Amos à son état normal.

— Oui, mais les hommes de Junos ont prrroposé de vous accompagner afin de vous…

— Justement, argumenta Béorf, en terre inconnue, il vaut mieux voyager incognito, en petit groupe seulement…

— Et Maelstrrröm ! le supplia presque Flag. Il était si peiné de ne pas vous suivrrre ! Nous pouvons toujourrrs lui demander de…

— Voyager avec un dragon attire l’attention, Flag ! s’exclama Médousa. Dans cette expédition, nous devons nous fondre dans le paysage et espérer ne pas être remarqués.

— Je suis d’accord avec eux, renchérit Lolya. Nous ne savons pas encore ce que nous cherchons ni sur qui nous pourrions tomber. Même si Maelström est doux comme un agneau, il n’en reste pas moins qu’il est un dragon ! Une bête volante qui crache du feu attire inévitablement l’attention !

— Bon, d’accorrrd ! râla Flag. Et Gungnirrr ? Tu aurrrais pu au moins apporrrter ta lance, Béorrrf, non ?

— Gungnir est une arme qui doit servir à protéger le peuple viking et ne doit, en aucune façon, servir mes intérêts personnels, expliqua le gros garçon. La lance avait sa place durant notre voyage pour retrouver la toison d’or, car Barthélémy menaçait l’ordre et la paix de mon peuple. Ici, Gungnir ne serait pas à sa place. Il s’agit d’une quête personnelle pour aider un ami…

— BAH ! Vos prrrincipes sont aussi foirrreux que ceux de Sarrrtigan ! se fâcha Flag en s’apprêtant à décoller. Je vous souhaite tout de même bonne chance.

— Merci de nous avoir accompagnés jusqu’ici ! lança Lolya en l’embrassant sur la joue. Nous serons très prudents.

— Merci pour tout, mon beau lurican barbu ! enchaîna Médousa en lui donnant à son tour un baiser sur l’autre joue.

— Merci, Flag, pour…, dit Béorf en s’avançant vers lui.

— Ne t’avise pas de m’embrrrasser, toi ! s’écria le lurican en riant. Ça va pourrr les filles, mais pourrr les ourrrs mal léchés, oh non ! merrrci ! À bientôt, mes amis ! Attention à vous et… et rrramenez-nous Amos en chairrr et en os !

Il détacha la dernière amarre de son ballon et s’éleva lentement dans les airs en abandonnant ses amis au pied des montagnes de l’Hyperborée. Béorf, Lolya et Médousa le regardèrent décoller avec un pincement au cœur. Leur expédition allait être plus périlleuse sans l’aide d’Amos pour les guider. Sans lui, il leur faudrait une bonne dose de courage pour traverser ces contrées hostiles, cette chaîne de montagnes au sujet de laquelle les légendes racontaient d’horribles choses. On disait qu’elle était un repère de nagas et de créatures encore plus dangereuses. De nombreux chevaliers avaient parlé de leur rencontre avec un gigantesque monstre assoiffé de sang, capable de mettre à genoux la plus aguerrie des armées. Il y avait aussi des rumeurs de spectres et d’âmes en peine qui, toutes les nuits, hurlaient de douleur et de désespoir.

— Nous voilà bien seuls…, dit Médousa, soucieuse.

— Et personne ne viendra nous aider si les choses tournent mal, ajouta Lolya en déglutissant.

— Alors, vous croyez aux histoires qui courent sur ces montagnes ? demanda Béorf en balayant l’horizon du regard. Elles ont pourtant l’air assez calme !

— Quand j’étais petite, répondit Lolya, mon père me racontait des histoires terribles sur des femmes à la chevelure de serpents… Je n’aurais jamais imaginé qu’un jour une de ces créatures de cauchemar deviendrait ma meilleure amie !

— J’en déduis que les légendes ne sont peut-être pas si véridiques ! fit Médousa en rigolant. Allez ! courage ! Ensemble, nous avons déjà traversé tellement d’épreuves…

— … que ce ne sont pas ces montagnes qui vont nous faire peur ! continua Béorf. Je suis bien d’accord, mais, sans Amos, ce sera une autre histoire. Enfin, nous verrons bien !

Le béorite, prêt à prendre la route, s’empara des brancards de la charrette et poussa quelques cris d’âne.

— Je crois que c’est le signal de départ ! dit Médousa en se plaçant derrière la charrette. C’est toi qui ouvres la piste, Lolya. Nous changerons de position lorsque je serai fatiguée de pousser.

— Très bien ! acquiesça la nécromancienne. Quelle direction prenons-nous ?

— Celle qui te plaira ! lança Béorf. Suis ton instinct !

— Très bien…

Devant elle, Lolya remarqua une piste qui se divisait en deux. Du côté droit, la voie contournait la montagne, alors que celle de gauche semblait se diriger vers d’abruptes falaises.

— Prenons le chemin le plus facile, décida Lolya. Allons à droite !

Tous d’accord, les trois amis se mirent en route en suivant la voie qu’Amos aurait sans doute évitée.

 

Le Masque de l'Ether
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